Culture & patrimoine

Une œuvre, un musée – Rosa et ses bêtes

Chaque mois, Un Air de Bordeaux s’arrête sur une œuvre. Les Musées de la ville nous ouvrent leurs portes et à travers les yeux d’un expert vous découvrirez tous leurs secrets. Vous pensiez connaître nos musées comme votre poche ? Suivez-nous, vous serez surpris ! Le Musée des Beaux-Arts de Bordeaux rend un bel hommage à Rosa Bonheur, avant que l'exposition ne prenne ses quartiers au Musée d’Orsay à partir du 18 octobre. On se dépêchera donc de découvrir, en avant-première, une production aussi pléthorique que fascinante, aussi singulière que cohérente. Si on oublia longtemps Rosa Bonheur en France et un peu moins dans les pays Anglo-Saxons (1) c'est qu'elle fut erronément perçue comme une artiste de la ruralité, un rien surannée. L’exposition, qui se tient jusqu’au 18 septembre 2022, bat rapidement en brèche cette idée reçue pour donner à voir une artiste, née à Bordeaux en 1822, étonnamment audacieuse.  

Hommage à Rosa Bonheur au Musée des Beaux Arts

L’exposition met l’accent sur une artiste prolifique en rassemblant un grand nombre d’œuvres rarement vues en France. Le musée a également eu l’intelligence de mettre en avant une femme indépendante et follement inspirante. L’exposition réhabilite une artiste étonnante qui s’attacha non seulement à dépeindre des animaux domestiques ou sauvages mais également à leur donner une place tout à fait unique en instaurant un rapport Homme animal très singulier.

La vision de Rosa Bonheur n’est jamais anthropomorphique et comme pour La Foulaison du blé en Camargue (1864-1899), elle propose une rencontre entre nous et les animaux. Cette œuvre qui maintient le spectateur à bonne distance n'offre ni douceur, ni quiétude. Les chevaux paraissent ici presque ensauvagés et l'artiste semble prendre fait et cause pour ces animaux.

Rosa Bonheur dans son atelier de George ACHILLE-FOULD. Musée des Beaux Arts de Bordeaux © Mairie de Bordeaux, photo Lysiane Gauthier

Loin d’une représentation champêtre

La Foulaison du blé en Camargue (654 cm x 313 cm), toile extravagamment grande, que vous pourrez contempler dans l’Aile nord consacrée au XIXe-XXe siècles de l’autre bâtiment du Musée est une œuvre inachevée sur laquelle elle travailla plus de 30 ans entre 1864-1899 !

Avec La Foulaison du blé en Camargue, Rosa Bonheur décide de s’attaquer à un morceau de maître en choisissant un format monumental. Le visiteur se retrouve en effet face à des chevaux grandeur nature. L'artiste souhaite ainsi montrer la puissance, la fougue des chevaux, qui comme le rappelle Sandra Buratti-Hasan, Directrice adjointe, Conservatrice des collections XIXe-XXe siècles, nous éloigne sensiblement de l’imagerie léchée ou d’une représentation romantique du monde rural. Il s'agit d'une peinture de liberté, de puissance et de souffrance. Elle dépeint des animaux quasiment sauvages et interroge – comme souvent - le rapport des animaux avec les humains dans le labeur.

Labourage dans le Nivernais Rosa BONHEUR_Orsay_labourage_nivernais_photo_RMN_P_Schmidt

Où on parle du zoopraxiscope.

Les neuf chevaux sont dominés par un gardian camarguais, l’axe central de ce grand manège équin. A la vision de cette ronde sauvage nous nous demandons à chaque instant si les bêtes ne vont pas se rebeller !

Il y a une attention juste et précise aux mouvements des animaux, à l’anatomie des chevaux. Nous avons l’impression d’une même image qui aurait légèrement bougé pour laisser à penser au mouvement. La composition symétrique est très cinématographique. La dimension de cette représentation nous aspire littéralement dans cette ronde tumultueuse. Le découpage des mouvements des chevaux renvoie explicitement au principe pré-cinématographique du zoopraxiscope. Rosa Bonheur fit d'ailleurs l'acquisition d'une œuvre de Muybridge, photographe qui décomposa le mouvement du cheval (2).

 

Rosa_Bonheur_musee_Photo _ F. Deval__2

Mistral et Gounod

L'artiste se montre réellement intéressée par la façon dont l’Homme travaillait avec les bêtes, comment ils travaillaient ensemble pour nourrir l’humanité. Elle a la volonté d’inscrire son travail dans ce raisonnement sociologique d’une société de la IIème République déjà marquée par l’exode rural.

D’autres lectures sont bien entendu possibles dans la mesure où ce tableau fait également écho à Mireille, un poème de Frédéric Mistral. Ce texte servira encore de livret à un opéra de Gounod, ami très proche de l’artiste. Les effets de résonance sont réels. On sait aujourd’hui que Rosa Bonheur aurait aimé achever cette Foulaison, sur laquelle elle travailla avec l’aide d’Anna Klumpke jusqu’à sa mort, pour pouvoir la présenter à l’Exposition Universelle de 1900. Nous restons aujourd’hui encore fascinés devant cette profusion de mouvements, de sauvagerie - Elle disait vouloir voir les chevaux dans un tourbillon de poussière et de hennissements – et la fureur méphistophélique qui émane de cette œuvre hors norme vous accompagne longtemps après avoir quitté l’exposition, imprimera vos rétines comme le ferait un zoopraxiscope. Cette exposition consacrée à Rosa Bonheur permet de faire (re)découvrir au public la puissance et la richesse de son art, ainsi que la vie d'une femme libre, devenue mythique.

1-En 1856, Rosa Bonheur effectue un voyage triomphal en Angleterre ; elle est présentée à la reine Victoria et à plusieurs peintres anglais dont Landseer

2-Cheval Annie G. au galop, issues de la planche 626 publiée en 1887 par Muybridge dans Animal Locomotio

Exposition Rosa Bonheur à l'occasion du bicentenaire de sa naissance jusqu'au 18 septembre 2022

  • Galerie du musée des Beaux-Arts

Place du Colonel Raynal
33 000 Bordeaux

  • Musée des Beaux-Arts   

20, cours d'Albret
33 000 Bordeaux

www.musba-bordeaux.fr

Le Lion - Collection du Prado Rosa_Bonheur_El_Cid_Prado_@PRADO
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